No. 9 - Ce qu’on se met dans la tête
Première et dernière chronique sur Martineau, promis.

Le samedi 8 juin 2024
On passe beaucoup de temps à surveiller ce qu’on mange.
On coupe le gluten, le lactose, l’aspartame. On contourne le sucre, le sodium. On surveille la quantité de calories, de cholestérol, de gras saturés.
D’accord, prendre soin de notre deuxième cerveau, c’est important. Mais vous savez ce qui est important aussi?
Notre premier cerveau.
Et là-dessus, je ne suis pas certain qu’on s’intéresse autant à la qualité des choses qu’on fait entrer dans notre tête qu’à celle des choses qu’on se met dans le ventre.
Livrée chaque samedi matin et remplie d’éléments nutritifs essentiels, cette chronique est soutenue par ses lecteur·trice·s.
Payé pour être fâché
Étant quelque peu soucieux de la valeur nutritive de l’information que je consomme, je m’impose certaines restrictions. Pour le bien de ma santé mentale.
Tenez, j’ai réalisé en préparant cette chronique que cela fait maintenant 18 ans que j’ai éliminé les saucisses de Richard Martineau de mon menu médiatique. Pas toujours simple. Le bonhomme est partout.
D’autant plus que mon beau-père ne rate jamais l’occasion de me rapporter le dernier jab anti-woke du chroniqueur. « Pourquoi tu lis encore ça? » que je lui demande. « Ça me détend, c’est drôle! » qu’il me répond. « Ça te détend pas, le beau-père, ça te met en crisse! »
Mettre le monde en crisse contre n’importe quoi, c’est le number que resuce Martineau depuis 18 ans au sein de l’empire Quebecor. Désolé, je ne mange pas ce pain-là. Mon deuxième cerveau en fait des ballonnements.
Au-delà de ses idées, c’est la démarche que je n’achète pas. Martineau n’a jamais dépassé le stade du coup de gueule. C’est vite écrit, vite lu, vite oublié.
Et quand il finira, un jour, forcément, par accrocher cette plume, je ne suis pas sûr qu’il y aura quelque chose à retenir de cette abondante production de mots, pondus pour exciter le peuple et les folliculaires(1).
Témoigner assez
J’ai une anecdote à propos de Martineau, qui explique peut-être ceci ou cela.
Lors d’une de ses toutes premières entrevues à l’émission Les francs-tireurs, autour de 1998-99, Richard recevait Pierre Foglia, légende vivante du billet d’humeur au Québec.
Pour les plus jeunes, Foglia est à la chronique ce qu’Yvon Deschamps est à l’humour d’ici. Pour les encore plus jeunes, Yvon Deschamps est à l’humour d’ici ce qu’Arnaud Soly est à la flûte nasale.
Bref, un monument.
C’était de surcroît une vraie bonne prise pour l’émission, car Foglia n’a notoirement jamais couru après les kodaks.
Du coup, le jeune Richard, qu’on imagine tout excité de pouvoir rencontrer la sommité, en profite pour lui poser une question qui fait sans doute écho à ses propres visées. Martineau demande à Foglia quelque chose comme(2) : « Pourquoi vous faites pas aussi des chroniques à la radio, à la télé, partout? Pourquoi seulement une colonne dans La Presse? »
Et Foglia de répondre de but en blanc : « Pour quoi faire? Je témoigne assez. »
Pour le grand chroniqueur qu’il était, pondre quelques chroniques par semaine dans le plus grand quotidien français d’Amérique, c’était ben en masse.
Toujours est-il que c’est essentiellement ce que je reproche à Martineau : il témoigne trop.
Quelqu’un de normalement constitué ne peut avoir à ce point de grains de sel pertinents à ajouter aux débats qui animent la cité. C’est forcément douteux. Un digne observateur de la marche du monde doit passer un peu de temps à l’observer, ce monde. Un truc qui se fait préférablement en silence.
Foglia avait compris ça. Martineau, lui, a compris qu’il était beaucoup plus payant d’exploiter un McDo de l’opinion-minute. On avale ses chroniques, on rote un peu, on continue sa journée.
//
Tant de conneries se disputent notre attention de nos jours qu’on ne peut survivre à cette époque sans s’équiper d’un bon filtre. Le mien bloque Martineau, pas besoin de mettre ça dans ma tête.
Qu’est-ce que vous laissez (ou pas) entrer dans votre tête? Je veux vous entendre!
Allez, bon samedi!
*J’ai pris ça où
- La formule est tirée de la célèbre chanson Trompette de la renommée de ce bon vieux Brassens, que je ne refuse jamais d’écouter.
- Vous allez devoir me faire confiance là-dessus, car l’émission est introuvable. Je l’ai vue il y a fort longtemps, sur une cassette Beta trouvée au bas d’une armoire alors que j’étais recherchiste aux Francs-tireurs.

En parlant de ça
- Mathieu Bock-Côté, voisin de Martineau au rayon des opinions en gros, est une autre lecture que je filtre. Apparemment, je ne manque pas grand-chose. Simon Jodoin (que je soupçonne d’être un tantinet masochiste) s’est employé à analyser la production de saucisses idéologiques du personnage. Dans un texte long et lent, il ausculte la « manière de penser à toute vitesse » du chroniqueur, débusquant au passage les multiples raccourcis intellectuels que prend ce dernier pour arriver à faire gober ses idées.
Lire Mathieu Bock-Côté : Régime diversitaire, totalitarisme et quelques questions de méthode (première partie), par Simon Jodoin sur Vaste programme (2 juin 2024) - L’ancienne journaliste Annabelle Nicoud se questionne quant à elle sur le temps englouti dans les médias sociaux, nostalgie d’une époque où le scroll n’était pas. Pour partager ses réflexions, elle entame une nouvelle collaboration avec la plateforme Pavillons.
Défiler vers le bas, pas Annabelle Nicoud sur Pavillons (jusq’au 30 juin 2024)

Pour recevoir ma chronique chaque samedi matin, considérez un abonnement gratuit ou payant.

Courrier
Ma dernière chronique sur la révolution en pieds de bas vous a fait réagir :

Madeleine Allard :
Autre son de cloche ici : je déteste le télétravail. […] La réalité est que c’est plus inefficace qu’on le dit et que ça rend le travail entièrement axé sur la tâche. Être une personne agréable au travail, c’est aussi une façon de générer du bonheur et d’inciter les gens à s’épanouir.
Marjolaine Huot :
J’ai été une professionnelle salariée et une gestionnaire, et dans les deux cas je conclue que l’option du télétravail est très positive. Les gestionnaires qui s’y opposent ou y mettent des limites arbitraires le font à cause de leur propre incompétence : incapacité à évaluer la productivité en se basant sur des indicateurs mesurables et non seulement sur un aperçu visuel de l’employé [...]. J’ajouterai que le télétravail permet d’acquérir et de retenir des talents qui seraient autrement perdus en raison de la distance, de réalités familiales ou de conditions de santé. [...] Je crois aussi que la réduction des gaz à effet de serre ainsi que la préservation des infrastructures routières passent par une valorisation et un encouragement de l’État [pour le télétravail].
Pierre Sormany :
[Dans ta chronique] tu reprends — en plus court et avec tellement plus de style — un des thèmes centraux de mon bouquin de 2019, « Vivre le travail libre » (Éditions Somme toute). J’y raconte l’époque de « l’invention » du travail salarié à cause de la machine à vapeur, et comment cette invention s’est accompagnée d’une forte augmentation du temps passé à travailler… ou plutôt à « vendre son temps libre » à un employeur, contre rémunération, avec tout ce qui en a découlé. Mais j’y signale aussi que ce mode d’organisation de la vie en compartiments n’a jamais été le joug d’une majorité de gens. Dans les sociétés agraires ou artisanales, les espaces de vie et de travail étaient et sont encore confondus. Et ça vaut pour plus de la moitié de l’humanité…

Qui suis-je ?

Je m’appelle Steve Proulx. Pour gagner ma vie, j’écris. Je fais ça depuis près de 30 ans. Vous m’avez sans doute déjà lu quelque part (ne serait-ce qu’en ce moment même).

Encore là? Alors, j’ai besoin de vous!
Si vous avez pris goût à cette chronique, qu’elle inaugure vos samedis ou que vous avez l’impression que le cœur que j’y mets vaut le coût d’un café, je vous invite à me soutenir en choisissant l’abonnement payant.
Sinon…
Voici 5 autres manières efficaces de soutenir cette chronique :
- Abonnez-vous si ce n’est pas déjà fait. ⬇️ ⬇️
- Aimez cette chronique en cliquant sur le cœur ci-bas. ❤️ ⬇️
- Laissez un commentaire. ⬇️
- Partagez cette chronique. ⬇️
- Invitez des gens à s’abonner.