No. 62 - Je voulais être archéologue
Mais j’ai changé d’idée.

Le samedi 28 juin 2025
Pour l’instant, Romane veut devenir scénographe. En ma qualité de père pas si pire, je me garde bien de lui dire : « Bah, tu peux encore changer d’idée ! »
Il me semble que c’est ce que les parents disent quand ils doutent de l’intérêt du choix de carrière de leur progéniture. « Influenceuse ? Bah, tu peux encore changer d’idée ! »
En plus, ce n’est pas comme si j’avais de leçons à donner.
À son âge, je voulais devenir archéologue. C’était naguère un populaire plan de carrière ; Indiana Jones y fut pour beaucoup.
En creusant un peu, cela dit, la balloune se dégonflait assez vite.
C’est que, dans la réalité, l’archéologue passe radicalement plus de temps à recoller les morceaux de vieilles jarres datant de la Nouvelle-France qu’à s’échapper d’un avion à bord d’un radeau gonflable pour retrouver des cailloux magiques dans un temple maudit.

Qui plus est, l’authentique archéologue a fort peu d’occasions d’utiliser un fouet dans l’exercice de sa profession.
Ah, l’entrée dans la vie adulte apporte de ces déceptions…
Bienvenue à Sylvain, Elizabeth G., Linda B., Mezig, Wilson et Katia.
Et un grand « merci » à Pierre Levasseur, qui a eu la folle audace de prendre un abonnement payant !
Envie de m’aider à écrire ma prochaine chronique ? Faites partie de ceux et celles qui rendent ce rêve possible :
Je ne me souviens plus si mes parents m’ont dit : « Tu peux toujours changer d’idée ! » quand je leur ai exprimé mon ambition de devenir archéologue.
Toujours est-il que j’ai quand même changé d’idée.
Je me suis retrouvé au cégep de Jonquière, en Art et technologie des médias. Et c’est dans la file d’attente pour confirmer mon « option » au registrariat que j’ai pris la décision conne de me spécialiser en « publicité — design graphique ».
Je m’imaginais que ce serait juste plus facile que l’option « presse écrite », celle que j’avais d’abord cochée sur mon formulaire.
Et c’est ainsi que, par pure paresse, j’ai passé le reste de mon cégep à apprendre les 4 « P » du marketing, Photoshop, Quark, Illustrator...
Trois ans plus tard, mon DEC en main, j’ai presque immédiatement commencé à travailler en presse écrite.
À peu près rien de ce que j’ai appris au cégep ne m’a servi dans la carrière que j’aurai en fin de compte.
L’univers voulait que j’écrive des affaires, apparemment.
*
Ma fille et moi arrivons à des étapes particulières de nos parcours respectifs.
Elle s’apprête à prendre la sortie qui lui fera bientôt rejoindre l’autoroute de la vie professionnelle.
De mon côté, je cherche plutôt la sortie qui me fera quitter cette même autoroute afin d’explorer de nouveaux territoires.
En attendant de trouver, je continue de rouler sur cette route sans trop savoir où je vais. Mon GPS a planté. Tout ce que je vois, c’est le chemin devant moi et l’indicateur de niveau d’essence qui baisse.
Si je ne trouve pas bientôt une sortie, je vais manquer de gaz.
[Ouf. On entre dans une métaphore en la croyant inoffensive, jusqu’à ce qu’elle finisse par nous péter en pleine face.]
À presque 50 ans (dans 2 ans), la voie professionnelle sur laquelle je me suis engagé ne m’intéresse plus tellement. Je regarde les autres voitures me dépasser ; tout le monde a l’air de savoir où il va. Fait chier.
[Eh bien, cette métaphore routière éculée avait encore quelque chose à donner, apparemment.]
S’agit-il d’un simple coup de mou ? Est-ce la bande-annonce de ma crise de la cinquantaine ? Je l’ignore. Je sais seulement que, depuis un moment, j’ai envie d’avoir une carrière qui ressemble à l’homme que je suis devenu.
Je voudrais me pitcher ailleurs ; tâter de tout autres tâches.
La crise des options
L’ennui, c’est que l’homme que je suis devenu est pris avec les obligations financières de l’homme que j’étais.
Hin.
Voilà un chapitre plate qu’on ne retrouve pas souvent dans les livres de croissance personnelle du commerce : à un moment donné, on devient la somme de nos décisions passées. Celles-ci s’entassent dans la cale du paquebot de notre vie et finissent par empêcher le bateau de se revirer sur un dix cennes.
[Une métaphore navale, maintenant. Ça va s’arrêter où, ce délire ?]
Pour ma fille, le reste de sa vie est plus ou moins une page blanche. Elle peut devenir scénographe, ou architecte, ou designer de leggings.
Avant d’être coincée dans son erre d’aller, il lui reste amplement de décisions connes à prendre, d’occasions à saisir, de rendez-vous à manquer (ou pas).
Dommage qu’à cet âge, on ne sache pas encore prendre la pleine mesure de la chance qu’on a de pouvoir changer de vie comme on change d’idée.
*
Bon, j’ai l’air de m’apitoyer sur mon sort, ce n’est pas le cas. Je ne changerais rien. J’assume mes choix et je dis bonjour à la vie.
C’est simplement qu’en atteignant cet âge où l’on se dit « Et maintenant ? », je réalise que mes options sont limitées. Je ne peux pas vraiment tout changer ; je n’ai pas assez de gaz dans le réservoir pour faire un nouveau voyage.
Je peux seulement optimiser la trajectoire de mon navire pour espérer mener à bon port la cargaison de ma vie.
[Misère, j’en peux plus des métaphores !]
Bon, je pourrais toujours essayer de voir si ce n’est pas trop compliqué de devenir archéologue.
C’est vrai, quoi, j’ai changé. À présent, ça me plairait assez de passer mes après-midis à recoller les morceaux d’une vieille jarre du temps de la Nouvelle-France...
*
Allez, bon samedi !

Avec la disparition de Serge Fiori cette semaine, je ne pouvais passer à côté de l’immense contribution d’Harmonium à la trame sonore de ma vie. J’ai choisi « Aujourd'hui je dis bonjour à la vie », chanson figurant sur le premier album du groupe (1974). Dans La Presse, Nathalie Petrowski a jadis bien résumé l’ambiance de la chanson, qui m’apparaît en harmonie avec mon actuel état d'esprit : « Les paroles ne sont pas particulièrement pertinentes. Elles sont même un brin confuses. [...] Mais au milieu de la confusion et de la noirceur, arrive tout à coup ce refrain lancinant, souriant, tout simple : « Aujourd'hui je dis bonjour à la vie ». Qui n'a pas envie d'en faire autant ? »
Écoutez mes « chansons pour la route » sur Apple Music >


Je m’appelle Steve Proulx.
Pour gagner ma vie, j’écris. Je fais ça depuis près de 30 ans. Vous m’avez sans doute déjà lu quelque part (ne serait-ce qu’en ce moment même).
Voir aussi :
- Ma job de jour : pour vos besoins en contenus rédactionnels
- Mes romans jeunesse : Le cratère (Éditions de la Bagnole)