No. 60 - Massacre à la tronçonneuse
Il faut sortir du bois.

Le samedi 14 juin 2025
J’ai passé l’hiver dans le bois. Façon de parler.
C’est parce que j’ai été plongé ces derniers mois dans l’écriture d’un roman. La trame se déroule au fin fond de la forêt publique québécoise, dans un camp de chasse dénommé « le Belle-Truite », au lendemain de la fin du monde.
Le camp existe pour vrai.
Mon père, Marcel Blanchard et mon frère vont pêcher là chaque année. Et si je n’étais pas tenu en laisse par ce contrat alimentaire qui m’astreint à ne jamais m’éloigner plus de 24 heures d’une connexion Internet, j’irais aussi.
Mais faut bien manger.
Enfin, j’y ai passé l’hiver fictivement. C’est mieux que rien.
L’histoire de ma vieille maison de campagne semble vous avoir touché la semaine dernière ! Bienvenue à David D., Sophie G., Mélissa C., Diane D., Manon L., Chloé BP, Yves D., Tanya D., Marie-Ève E., Thierry L., Carole B., Gabrielle D., Natalie N., Bibiane C., Guylaine C., Johanne T., Sophie T., Benoît G., Christian F., Frédéric P., Guillaume S. et Johanne Z..
Envie de m’aider à faire de cette chronique mon nouveau contrat alimentaire ? Faites partie de ceux et celles qui rendent ce rêve possible :

Toujours est-il que passer l’hiver au Belle-Truite m’a fourni l’occasion de m’imprégner du monde forestier.
Pour alimenter le feu de cette fiction, j’ai dû ramasser tous les contenus sylvestres que j’ai pu trouver. C’est ainsi que je suis tombé sur Francis Hallé.
C’est un botaniste français célèbre. Un Hubert Reeves du règne végétal, mettons.
Depuis des années, l’homme veut faire renaître une forêt primaire en Europe de l’Ouest ; un fantasme de 70 000 hectares (soit environ 7 fois la superficie de Paris).
Quand on parle d’une « forêt primaire », il n’est pas question d’un champ d’arbres tous bien cordés.
L’émergence d’une forêt primaire s’inscrit dans le temps long. Il s’agit de prendre un lopin de terre et de lui crisser patience pour un bon bout de temps. Selon Francis Hallé, il faut laisser l’écosystème tranquille pendant 10 siècles pour qu’une forêt primaire apparaisse.
C’est ça, le projet.
La « saison des incendies »
Avant qu’on se prennent pour les maîtres du monde, les forêts primaires ont régné sur cette boule pendant des millions d’années.
Aujourd’hui, moins de 30 % d’entre elles ont échappé aux massacres à la tronçonneuse. Elles se trouvent principalement au Brésil, en Russie et au Canada.
Au Québec, même si on a l’impression qu’il y a de la forêt partout, les primaires sont rares.
Depuis trois décennies, l’ingénieur forestier Normand Villeneuve cherche à débusquer ces vestiges naturels inviolés depuis que Jacques Cartier a planté sa croix dans la baie de Gaspé pour faire comme si tout ce monde appartenait maintenant à François 1er.
Il est parvenu à classer 256 écosystèmes forestiers exceptionnels (EFE), qui représentent seulement 0,35 % du territoire québécois.
Sauver les forêts matures est une priorité.
D’abord, elles représentent de véritables réservoirs à biodiversité. Elles sont aussi notre meilleur rempart contre ces changements climatiques qui commanditent désormais ce que les médias ont tout bonnement commencé à nommer « la saison des incendies ».
D’ailleurs, les festivités au Manitoba nous ont permis de nous en mettre plein les poumons la semaine dernière.
En entrevue au Devoir, l’ingénieur forestier indépendant Jean-Pierre Jetté expliquait :
« Au XVIIIe et au XIXe siècles, nous avons connu au Québec beaucoup plus de feux qu’au XXe siècle. Pourtant, la forêt boréale a survécu. Pourquoi ? Parce que les mécanismes de résilience existent naturellement et qu’ils permettent à la forêt d’être résiliente. [En raison de l’exploitation forestière], nous avons beaucoup rajeuni la forêt dans les 30 dernières années. Nous avons donc affaibli le processus naturel de résilience. »
En résumé, les écosystèmes forestiers matures brûlent moins bien que les champs d’épinettes qui tiennent lieu de forêts aujourd’hui.
Aussi, laisser la forêt tranquille devrait plus que jamais devenir une obsession, une idée fixe insensible aux intrigues de l’actualité des hommes.
Comme le soulignait Francis Hallé : « Il y a un temps que les actualités ignorent complètement et qui est précisément le temps le plus significatif pour l’avenir de la planète. »
Le bordel qu’on a créé dans nos bois prendra un millénaire à se régler.
C’est ça, la réalité.
Une bonne, grande, longue marche en forêt
L’ennui, c’est qu’on met au pouvoir des clubs de gens qui se basent sur les actualités de la veille pour prendre des décisions qui auront un impact pour les siècles à venir.
Oui, la CAQ, c’est de toi que je parle.
Avec son projet de réforme du régime forestier, ce gouvernement s’est lancé dans une nouvelle improvisation ayant pour thème : « Carte blanche à l’industrie forestière ».
La CAQ veut céder aux tronçonneuses LE TIERS de la forêt publique québécoise. C’est l’équivalent de quatre fois la superficie de la Belgique !
Une idée lamentable de la part d’un parti qui ne sait plus quoi faire pour donner l’illusion qu’il fait quelque chose pour contrer la « guerre tarifaire » déclenchée par l’olibrius d’en dessous.
Déjà, les Premières Nations menacent d’un soulèvement si ces modifications au régime forestier sont adoptées.
Des municipalités en région trouvent que ce projet n’a aucun estifi de bon sens.
Même le scientifique dont les travaux ont apparemment inspiré ce gouvernement est en maudit que son nom soit associé à cette folie.
Quelle justification ce gouvernement nous sert-il ? Toujours le même refrain : « C’est pour protéger les emplois ! »
Selon les chiffres du gouvernement du Canada, 11 800 personnes travaillent dans l’industrie forestière au Québec. Ce qui représente 0,3 % des emplois dans la province.
On va brader quatre fois la Belgique pour ça ?
*
Des circonstances géopolitiques nous ont fait hériter d’un trésor qu’on ne peut pas simplement considérer comme une réserve à 2X4 au profit des compagnies forestières.
Ces gens que nous élisons ont une responsabilité qui dépasse les petits gains politiques de merde qu’ils tentent d’obtenir.
Au moment de dresser le bilan de la dernière session parlementaire, le chef libéral par intérim Marc Tanguay a invité François Legault à aller « prendre une bonne, grande, longue marche dans la pelouse » cet été pour réfléchir à son avenir politique.
Je l’inviterais plutôt, lui et l’ensemble de son cabinet, à une marche jusqu’au fin fond de la forêt publique québécoise.
D’un coup qu’ils se perdent...
*
Allez, bon samedi !

En 1970, la Canadienne Joni Mitchell faisait entendre au monde son Big Yellow Taxi, une éco-chanson qui dénonce entre autres les coupes à blanc. La même année, Cher reprenait le tube qui profitera pour l’occasion d’un vidéoclip animé, diffusé dans son émission The Sonny & Cher Comedy Hour. J’en ai trouvé une version restaurée sur YouTube.
Écoutez mes « chansons pour la route » sur Apple Music >

J’AI DÉMÉNAGÉ !
Pour des raisons que j’explique ici, j’ai décidé d’abandonner Substack au profit d’une plateforme plus proche de mes valeurs.
Mon Angle mort vous sera désormais acheminé par le biais de Ghost.
Pour vous, ça ne devrait pas changer grand-chose. Pour moi, j’aurai moins l'impression de vendre mon âme à d’autres de ces tech bros qui gâchent notre monde. Ça n’a pas de prix !

Je m’appelle Steve Proulx.
Pour gagner ma vie, j’écris. Je fais ça depuis près de 30 ans. Vous m’avez sans doute déjà lu quelque part (ne serait-ce qu’en ce moment même).
Voir aussi :
- Ma job de jour : pour vos besoins en contenus rédactionnels
- Mes romans jeunesse : Le cratère (Éditions de la Bagnole)