No. 58 - Il faut qu’on parle de Québecor (bis)

L’État au secours de l’empire ?

No. 58 - Il faut qu’on parle de Québecor (bis)
La maison de l’empire médiatique de Québecor, rue Frontenac à Montréal. Photo : Steve Proulx + l’IA de Photoshop (il faisait beau soleil ce jour-là).

Le samedi 31 mai 2025

Rebondissons donc sur cette fameuse lettre commune parue dans Pivot il y a deux semaines.

Près de 7000 personnes l’ont signé, quand même.

Je vous la résume : alors que le patron de Québecor, Pierre Karl Péladeau, multiplie les sorties pour réclamer un soutien de l’État, les signataires de la lettre pensent que les médias de l’empire ne méritent pas cette aide :

« Lorsqu’on sait [qu’ils] monétisent, par le truchement d’une poignée de chroniqueur·euses, la désinformation, les amalgames mensongers et les propos injurieux ou discriminatoires, la demande de financement public formulée par Pierre-Karl Péladeau nous apparaît pour le moins culottée. »

Ainsi, des gens de médias, des artistes, des agriculteurs(trices), des avocat(e)s, des scientifiques, des syndicalistes, de simples citoyen(ne)s, des entrepreneur(e)s, des enseignant(e)s, des infirmières, des fonctionnaires, des étudiant(e)s, des médecins, des retraité(e)s, une flopée d’écrivain(e)s, quatorze poètes, quelques ébénistes, trois « wokes », deux pasteurs et un verbicruciste refusent que le salaire de Richard Martineau bénéficie d’un crédit d’impôt.


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Le visage de la convergence, Pierre Karl Péladeau (photo : Québecor)

Tirer sur le messager

La promptitude avec laquelle la foule a signé cette lettre est symptomatique d’un malaise qui dépasse les simples demandes de PKP.

Car que demande-t-il, en somme ? Deux choses :

  1. Que le crédit d’impôt pour la main-d’œuvre journalistique ne soit pas réservé aux journalistes de la presse écrite, qu’il concerne aussi les journalistes télé (je suis d’accord).
  2. Que Radio-Canada slaque un peu sur la pub ; ça finit par nous donner un diffuseur public indiscernable d’un diffuseur privé (je suis aussi d’accord).

Le message de PKP n’est pas à ce point culotté quand on l’analyse froidement. Le problème, c’est le messager.

Que la demande vienne d’un milliardaire à la tête d’un empire médiatique qui s’est comporté en bully pendant des années avec le reste de l’industrie, et qui garde sur son payroll une meute d’aboyeurs spécialisés dans la provoc-à-clics, voilà le morceau qui ne passe pas.

Le ressentiment d’une frange de la population envers l’empire a des racines profondes.

Aussi, tentons de remonter aux sources de ce désamour.

Hors de l’empire, point de salut

C’était il y a vingt-cinq ans.

Québecor rachetait Vidéotron à la famille Chagnon grâce à un appui de 2,7 milliards $ du « bas de laine » des Québécois, la Caisse de dépôt et placement.

La société du jeune héritier Péladeau raflait ainsi un lucratif service de câblodistribution, mais aussi le célèbre « canal 10 » qui a fait les beaux jours de Réal Giguère, Les Tannants et Chambres en ville.

Avec cette acquisition, PKP ne cachait pas son ambition : gouverner un empire de la convergence.

Il rêvait d’une famille de médias tricotée serrée, se partageant des vedettes, des journalistes, se donnant de l’amour mutuel, se mettant en gang pour pogner.

Un empire qui parlerait des choses de l’empire avec des gens de l’empire et jamais contre l’empire.

En vertu de cette convergence, une enquête du Journal de Montréal profiterait d’une entrevue à LCN, à Salut, bonjour ! ; on en tirerait un documentaire à TVA et un livre aux Éditions du Journal.

PKP voulait créer un cercle vertueux dans lequel son quotidien et ses magazines serviraient d’organes de promotion au Star Académie de sa conjointe de l’époque, Julie Snyder.

*

Sauf qu’au-delà des synergies staracadémiques, l’empire Québecor s’est aussi lancé ce dernier quart de siècle dans une véritable guerre de tranchées pour s’accaparer la moindre niche du marché publicitaire local.

Et il a mené cet assaut en copiant la concurrence :

  • Lancement du ICI pour faire chier l’hebdomadaire Voir
  • Création du journal 24 heures pour prendre la place de Métro
  • Le Sac Plus pour concurrencer le PubliSac
  • LCN pour damer le pion à RDI
  • TVA Sports pour affaiblir RDS
  • QUB pour jouer dans les plates-bandes du 98,5
  • Illico+ pour rivaliser avec TOU.TV et Crave
  • Indéfendable pour gruger des cotes d’écoute au STAT de Radio-Canada.

L’empire a aussi voulu organiser son petit débat des chefs à lui au lieu de faire comme tout le monde et collaborer avec les autres réseaux.

(Vous vous souvenez, le débat à 75 000 $ le lutrin auquel Mark Carney a refusé de participer ?)

La collaboration, parlons-en.

À force de tout faire en vase clos, Québecor a fini par se penser en dehors de l’industrie québécoise des médias.

Depuis des années, l’entreprise refuse notamment de reconnaître l’autorité du Conseil de presse (CdP), le tribunal d’honneur de la profession journalistique au Québec.

Richard Martineau, un abonné aux blâmes du CdP —sa page Wikipédia en recense neuf—, s’est même fendu d’une chronique en 2012 pour traiter l’organisme de « biaisé, inutile et ridicule ».

Trois adjectifs qui résument assez bien l’ensemble de sa propre carrière, si vous voulez mon avis.

*

Voilà pourquoi on ne risque pas de voir grand-monde essuyer une petite larme devant les gémissements d’un PDG qui a passé les dernières décennies à foncer dans le tas avec ses grosses bottes.


La débandade du cours de l’action de Groupe TVA, près d’un quart de siècle après son acquisition par Québecor. Source : Google

Une bulle à péter

Depuis quelque temps, cela dit, cet empire fait moins son faraud.

Sous le règne de Pierre Karl Péladeau, la valeur de l’action du Groupe TVA est passée d’environ 10 $ au moment du rachat à 0,70 $ aujourd’hui.

PKP annonçait la semaine dernière la suppression d’une trentaine de postes supplémentaires, après en avoir aboli plus de 650 depuis 2023.

Cela représente la moitié de son monde.

Le PDG accorde maintenant des entrevues sinistres dans lesquelles il craint pour la pérennité du diffuseur privé, en soulignant que les probabilités de fermeture de TVA Sports sont « élevées ».

L’empire n’est pas entièrement responsable de son malheur. L’arrivée des géants numériques a causé cette crise qui bouleverse toute l’industrie des médias.

Sauf que le comportement de Québecor n’a pas réussi à susciter quelque chose comme de la sympathie.

Personne ne va descendre dans la rue avec des pancartes pour demander que l’État sauve La Poule aux œufs d’or.

Heureusement, il y a moyen de voir le verre à moitié plein.

Si PKP en a assez de manger ses bas dans le secteur moribond des médias traditionnels, qu’il rende service à son portefeuille et à la société en général en vendant cet empire en pièces détachées.

TVA s’en remettra. Rappelons que le réseau a passé une plus longue partie de son histoire hors de l’empire. Il y aura des intéressés pour reprendre l’affaire.

Le Journal de Montréal pourrait devenir une coopérative, pourquoi pas ? Peut-être qu’il y aurait alors des rapprochements intéressants à faire avec les Coops de l’information.

Et puis, Pierre Karl Péladeau en a bien assez sur les bras avec Vidéotron, ses compagnies de taxi et d’aviation et les Alouettes de Montréal. Pourquoi s’entêter à garder tous ces médias, qui ne vont pas magiquement se mettre à générer de juteux profits dans l’avenir prévisible ?

C’est du masochisme ?

La convergence est une idée dépassée. Le Québec peut se passer d’un empire médiatique qui ne cherche qu’à manger la laine sur le dos de la concurrence locale.

La bulle Québecor a eu son tour de manège.

Il est temps de la péter.

*

Allez, bon samedi !


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Tant qu'à faire...

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Avec un tel sujet cette semaine, difficile de passer à côté du « Puits sans fond » des Vulgaires Machins. Dix-huit ans plus tard, le propos de la chanson est encore criant d’actualité et les guitares sonnent comme une tonne de briques.

Écoutez mes « chansons pour la route » sur Apple Music >


Je m’appelle Steve Proulx.

Pour gagner ma vie, j’écris. Je fais ça depuis près de 30 ans. Vous m’avez sans doute déjà lu quelque part (ne serait-ce qu’en ce moment même).

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