No. 56 - Un moment donné
Plaidoyer pour une gauche rapaillée.

Le samedi 17 mai 2025
Serge Mongeau, le père de la simplicité volontaire au Québec, a reçu l’aide médicale à mourir cette semaine.
Le Devoir rapporte son ultime déclaration : « Je n’ai plus la capacité de poursuivre les actions essentielles pour mener notre société vers une vie frugale, écologique et communautaire. »
Il avait 88 ans.
Je l’ai rencontré une fois, pour un article. C’était au début des années 2000. On nageait alors en plein altermondialisme.
Les jeunes avaient envie de se battre pour un monde plus juste. En 2001, ils ont fait tout un bordel au Sommet des Amériques pour dénoncer le capitalisme pensé pour fourrer les plus faibles.
Alex Boissonneault, candidat du PQ dans Arthabaska, était là, prêt lui aussi à brasser la cage. Il s’en est excusé cette semaine.
J’aurais préféré qu’il en rajoute une couche.
Un moment donné, on ne peut pas toujours s’excuser de vouloir changer le monde.
Bienvenue aux abonné(e)s de la semaine : Joëlle B., Julie P. et Gilbert T.
Et un merci particulier à Charles Kaplan, qui a eu l’excellente idée d’offrir la lecture de cette chronique du samedi en cadeau ; une initiative que je ne saurais qu’encourager !

À l’époque de mon entrevue avec Serge Mongeau, le Jour du Dépassement se fêtait deux semaines après la rentrée scolaire, le 12 septembre.
C’est à cette date, calculée par l’organisme étatsunien Global Footprint Network, que nous sommes censés avoir consommé toutes les ressources que la Terre est capable de produire en un an.
L’an dernier, on a fêté ça six semaines plus tôt, le 1er août. C’était pendant les vacances de la construction.
*
Serge Mongeau est mort sans que son engagement contre la surconsommation, sans que ses idées, ses écrits, ses conférences aient accompli quoi que ce soit de mesurable.
En 2024, il ne s’est jamais vendu autant de véhicules neufs au Québec. Et parmi ces véhicules, c’est le gros pick-up Ford F-150 qui est le modèle le plus vendu.
Ça prend un gros garage pour ranger ça. Ça tombe bien, il y a de plus en plus de place dans nos maisons.
Il y a 60 ans, la maison unifamiliale au Québec avait une superficie moyenne de 112 m2. Aujourd’hui, on frôle les 200 m2 sans qu’aucun facteur démographique justifie cette obésité résidentielle.
Après, faut chauffer ça.
Et des cochonneries, il nous en faut toujours plus. Par ailleurs, elles durent de moins en moins longtemps.
Prenons les vêtements. En 2003, on parlait déjà de cette fast-fashion produite dans ces ateliers de misère.
On parle maintenant de l’ultra fash-fashion. Des marques chinoises comme Shein font des milliards à produire des vêtements conçus pour la poubelle :
« Aujourd’hui, il est estimé que l’usure physique ne représente que 35 % des causes de fin de vie d’un vêtement. À tel point que les vêtements les moins coûteux […] ne sont portés que 7 à 8 fois en moyenne. »
*
Ce monde était absurde quand Serge Mongeau a publié la première édition de son livre sur la simplicité volontaire, en 1985.
Aujourd’hui, il est devenu fou.
La gauche inefficace
« Un moment donné, va falloir que les droits collectifs priment sur les droits individuels », disait Mongeau dans cette entrevue à Second Regard, en 2007.
Ce moment donné ne sera pas arrivé de son vivant.
*
Les droits collectifs, c’est l’affaire de la gauche.
Cette gauche dont se réclame Québec solidaire, un parti dont les intentions de vote sont passées derrière l’appui aux conservateurs d’Éric Duhaime selon le sondage de mercredi dernier.
Cette gauche incarnée au fédéral par le NPD, un parti décimé et décapité aux dernières élections.
En Trumpanie, c’est encore pire. On a l’impression qu’il n’y a plus que ce vieux hibou de Bernie pour se tenir debout devant l’oligarchie.
La gauche ne rallie plus les masses. À l’heure où les enjeux collectifs que l’on a devant nous sont colossaux, c’est un estifi de problème.
Désolé, mais on ne va pas s’en sortir avec des hordes de tatas qui crient « J’ai l’doua ! ».
*
La gauche s’est éparpillée dans une multitude de batailles mineures qui n’ont en fin de compte généré qu’une « fédération de contres ».
En d’autres mots, au lieu d’inspirer un mouvement populaire autour de quelques priorités, la gauche est devenue l’Accueil Bonneau des causes nichées.
« Les gauches victorieuses sont celles qui […] cessent d’être des clubs d’idées pour redevenir des mouvements populaires. Celles qui font de la politique non pas un exercice de pureté idéologique, mais un acte de fidélité au réel », écrivait Raphaël Roy dans une lettre au Devoir en mars dernier.
« À force de parler aux marges, poursuivait-il, [la gauche] a oublié le centre de gravité social. L’histoire des trente dernières années est celle d’un désalignement entre les valeurs de la gauche et les attentes de ceux qu’elle prétend défendre. »
C’est vrai.
Un moment donné, la gauche va devoir se rapailler.
Ce qu’il lui faut, c’est redonner le goût aux gens de se tenir ensemble pour au moins ralentir la vélocité avec laquelle nous fonçons collectivement dans le mur.
Alors je dirais à celles et ceux qui pensent la gauche de demain : peut-être espacer un peu les colloques sur l’intersectionnalité ?
C’est dur à entendre, je sais, mais on a plus urgent à régler.
Bien sûr, on me répondra qu’on peut marcher et mâcher de la gomme en même temps. C’est aussi vrai.
Sauf qu’un moment donné, il faut le dire : la gauche a surtout besoin de marcher.
*
Allez, bon samedi !
Si je souhaite aussi tendre vers une existence plus frugale, pour écrire ces chroniques j’ai quand même besoin de café. ☕️

Évidemment, avec le dévoilement du premier pape américain, je ne pouvais pas passer à côté de cette chanson quasi prophétique du mythique album Jaune de Jean-Pierre Ferland, disparu il y a un an.
Écoutez mes « chansons pour la route » sur Apple Music >


Je m’appelle Steve Proulx.
Pour gagner ma vie, j’écris. Je fais ça depuis près de 30 ans. Vous m’avez sans doute déjà lu quelque part (ne serait-ce qu’en ce moment même).
Voir aussi :
- Ma job de jour : pour vos besoins en contenus rédactionnels
- Mes romans jeunesse : Le cratère (Éditions de la Bagnole)