No. 55 - Surtout, ne pas vomir

Ce jour-là, dans la tête de Mark Carney.

No. 55 - Surtout, ne pas vomir

Le samedi 10 mai 2025

Chers lecteurs, chères lectrices, voici en exclusivité l’intégralité de ce qui s’est passé dans la tête du premier ministre du Canada, Mark Carney, lors de sa rencontre avec Donald Trump au Bureau ovale.


00:51 - Ça y est, mon Mark. Te voilà aux premières loges du déclin de l’empire américain.

Mais rappelle-toi : ta victoire, tu la dois à ce clown. Alors, tiens-toi le dos droit.

Ma cravate ? Check. Personne va m’accuser de pas m’être habillé comme un monsieur, comme Zelensky.

Mélanie m’a dit de le regarder, lui et seulement lui. Jamais JD Vance. Elle l’a répété au moins trois fois dans l’avion : il ne faut jamais regarder JD directement dans les yeux.

J’ai bien appris mes répliques. On s’est dit qu’on allait utiliser la stratégie du sandwich : flatterie/message/flatterie.

Jusqu’ici tout va bien.

C’est lui qui empeste l’eau de Cologne, ou quoi ?



1:02 - Il parle de la déco de son bureau. « Avec beaucoup d’amour et de l’or 24 carats… » Je pense qu’il voulait être drôle. Je devrais rire un peu ; ça lui ferait plaisir, ce con.

Il a l’air encore plus con de près, d’ailleurs. En plus, d’ici je peux vraiment bien la voir, son oreille.

C’est fou. Pas une écornure dans le croquant, rien. Impossible de deviner que ce type s’est fait tirer dessus par un fusil d’assaut il n’y a pas un an.

J’étais où à ce moment-là ? Ça me paraît si loin…

J’étais à Londres. Justin m’inondait de textos avec plein d’émojis pour me convaincre de me lancer en politique.

Putains d’émojis.

J’étais à un doigt de le bloquer tandis que l’autre gnouf passait à un doigt de se faire décoller le lobe temporal.

Dire qu’en juillet 2024, le monde est passé à deux doigts d’être complètement différent. Pour peu, JD Vance et Pierre Poilièvre seraient en train de consommer leur bromance ici, aujourd’hui.

Et je serais resté pénard, à Londres.

Anyway.

Mais c’est quoi cette eau de Cologne ? J’ai l’impression d’avoir le baise-en-ville du plus pénible des douchebags implanté dans le nez.

J’ai le cœur qui lève. Surtout, ne pas vomir.


1:29 - Oh God ! J’ai pogné le fixe pendant qu’il parlait des portraits qu’il a accrochés dans son bureau.

Il se tourne vers moi. ll dit qu’il a regardé notre débat des chefs. Good.

Je me demande s’il a apprécié le fait que personne n’ait accusé qui que ce soit de manger des animaux de compagnie.

Il parle des Houthis, maintenant. Y a-t-il quelqu’un dans cette pièce qui croit que cet olibrius en a quelque chose à foutre, des Houthis ? Si ça se trouve, il pense encore que c’est un groupe rock des années 1990 : Houthis and the Blowfish.

(Note : faire ce gag à Mélanie dans l’avion en revenant.)

Je lui jette un œil. À Mélanie. Sur le sofa d’à côté. Elle me sourit. Je lui souris.

Jusqu’ici tout va bien.



3:53 - Si j’ai envie de dire quelques mots ? qu’il me demande.

C’est mon cue, on dirait. N’oublie pas, Mark : flatterie/message/flatterie.

Je le félicite pour son « leadership ». Je lui dis qu’il agit de façon « transformationnelle » sur l’économie.

Il est tout content. La tête qu’il a. Ses yeux bouffis comme deux fromages en grains qui font « squick-squick », au milieu d’un visage couleur sauce barbecue.

On dirait la fin d’une poutine.

De la poutine… Qu’est-ce que j’ai dû en bouffer de ces saloperies pendant la campagne pour me téter des votes au Québec !

Rien qu’à y penser…

Surtout, ne pas vomir.


6:46 - Il prend les questions des journalistes, maintenant.

Regarde-les. Ils sont tous plantés là à défendre le droit du public à l’information en s’assurant de relayer au monde entier la moindre déclaration du roi de la menterie.

Après, on se demande pourquoi le journalisme est à l’agonie.

J’imagine - ô surprise - qu’un de ces chiens de garde de la démocratie va lui lancer le nonosse que tout le monde attend…

… et voilà ! Troisième question : « Est-ce que le Canada devrait devenir le 51e État ? ». Bravo, mon chien-chien ; tu vas l’avoir, ton Pulitzer !

De son côté, il répond les mêmes conneries que d’habitude. Puis, c’est mon tour.

« Le Canada ne sera jamais à vendre. »

Tout le monde a compris ? Azeb, t’as bien tout noté ? Richard, au fond, t’as entendu ou tu regardais encore ton cell ?

Et lui, est-ce qu’il m’écoute au moins ?

J’ai l’impression que mes mots sont entrés dans l’oreille sans égratignure du bonhomme, qu’ils ont résonné en écho dans sa boîte crânienne, puis sont ressortis intacts par son autre oreille.

Quelques mots pour l’homme que je suis, une grande perte de temps pour l’humanité.


11:43 - Qu’est-ce qu’il raconte, encore ?

« Le Canada nous adore et c’est réciproque. »

Ça y est, il débloque complètement.



19:46 - Shit, j’ai complètement arrêté de l’écouter. Mélanie m’avait pourtant averti que ça pouvait arriver.

Il pépie depuis combien de temps ?

Sur le divan d’en face, JD le regarde en souriant bêtement. Lui aussi, j’ai l’impression qu’il s’est réfugié dans son happy place en attendant que ça finisse.

On était si bien à Londres…

J’ai l’impression d’avoir été invité à un dîner de cons à l’envers : une bande d’idiots se réunit une fois par semaine et invite un chef d’État pour le forcer à écouter poliment les délires du boss.

En plus, il commence à faire chaud ici dedans.

J’aurais pas dû insister pour arrêter au Chipotle en chemin. Et son eau de Cologne qui empeste. Et mon transit qui ne s’est pas remis de cette tournée des spots à poutine de cette putain de Belle province…

Surtout, ne pas vomir, Mark.

En même temps, si je vomissais ici, maintenant, tous ces laquais du 4e pouvoir n’auraient pas à chercher de midi à quatorze heures avec quoi ouvrir leurs bulletins de nouvelles.

Je pourrais dégueuler drette-là, sur cette table à café en acajou, sur ce modèle réduit d’Air Force One qu’il a sorti du placard pour amuser les enfants d’Elon quand ils sont venus jouer ici, l’autre jour.

Vomir sur-le-champ serait le moyen parfait de prendre le contrôle du narratif.

C’est vrai. Peu importe l’importance historique de l’annonce, si quelqu’un vomit sur le Traité, c’est ce qu’on va retenir de l’événement.

Vomir au Bureau ovale.

Et si c’était la prochaine étape de cette grande course vers le fond du baril que ce zouf a inaugurée ?


33:10 - My God, j’étais perdu dans mes pensées, solide.

Quoi, c’est fini ? Le voilà qu’il remercie les journalistes… C’est pas trop tôt !

Vite, où sont les toilettes ?


Bienvenue aux abonné(e)s de la semaine : Grégoire, Channy T., Francis M., Hervé P., Isabelle D. et Nicola C..

Et un merci particulier à Pierre Samoisette, Luc Roberge ainsi qu’au nouveau député bloquiste dans Repentigny, Patrick Bonin, d’avoir osé souscrire un abonnement payant. Sans exagérer, vous êtes ma raison de vivre. (J’exagère.)

Sinon, oserais-je vous demander de me payer un café ? ☕️


Allez, bon samedi !


Par le plus complet des hasards, en fourrageant parmi les vinyles de L’Annexe, je suis tombé sur cet album de 1985, World of Wonders de l’Ottavien Bruce Cockburn. Ce dernier soufflera 80 bougies à la fin du mois. La première chanson, Call It Democracy, m’a semblé représenter un bel accord avec cette chronique à peine cynique.

Écoutez mes « chansons pour la route » sur Apple Music >

Je m’appelle Steve Proulx.

Pour gagner ma vie, j’écris. Je fais ça depuis près de 30 ans. Vous m’avez sans doute déjà lu quelque part (ne serait-ce qu’en ce moment même).

Voir aussi :